Pablo Neruda, Vaguedivague
Est paru dans la collection poésie/Gallimard Vaguedivague. Pablo Neruda publie Estravagario, présenté en français sous le titre Vaguedivague, en 1958. C’est pour lui une œuvre essentielle.Un témoignage. Il y rassemble des souvenirs, réels ou imaginaires, qu’il explore, questionnant inlassablement la vie pour qu’elle se révèle à elle-même. Il suit les transformations qu’elle impose et confirme sa foi dans la poésie, comme une réponse à la quête solitaire qui revient toujours à la matière, à l’union des éléments, au mouvement et espère le chant du silence.
"Qu’on me
laisse tranquille à présent
Qu'on s'habitue sans moi à présent
Qu'on s'habitue sans moi à présent
Je vais fermer les
yeux
Et je ne veux que
cinq choses,
cinq racines préférées
cinq racines préférées
L'une est l'amour
sans fin.
La seconde est de voir l'automne
Je ne peux être sans que les feuilles
volent et reviennent à la terre
La troisième est le
grave hiver
La pluie que j'ai aimé, la caresse
Du feu dans le froid sylvestre
La pluie que j'ai aimé, la caresse
Du feu dans le froid sylvestre
Quatrièmement l’été
rond comme une pastèque
La cinquième chose ce sont tes yeux
rond comme une pastèque
La cinquième chose ce sont tes yeux
ma Mathilde bien
aimée
je ne veux pas dormir sans tes yeux
je ne veux pas être sans que tu me regardes :
je change le printemps
afin que tu continues à me regarder (...)
je ne veux pas dormir sans tes yeux
je ne veux pas être sans que tu me regardes :
je change le printemps
afin que tu continues à me regarder (...)
.
Mais parce que je
demande le silence
ne croyez pas que
je vais mourir :
c’est tout le
contraire qui m’arrive
il advient que je
vais me vivre (...)
Je demande le silence, page 9
« (…)
immobile, avec une vie secrète
telle une ville
souterraine
afin que glissent
les jours
comme des gouttes
insaisissables :
rien ne s’use ni ne
meurt
jusqu’à notre
résurrection,
jusqu’à revenir
avec les pas
du printemps
enterré,
de ce qui gisait
perdu,
interminablement
immobile,
et qui à présent
s’élève du néant
pour être une
branche fleurie »
Saison immobile, page 80
"
(...) Si nous n'avons pu être unanimes
en
engageant toutes nos vies
peut-être
ne rien faire pour une fois
peut-être
un grand silence pourra-t-il
briser
cette tristesse,
ce ne
jamais se comprendre
et nous
menacer de mort,
peut-être
que la terre nous apprendra
combien
tout semblait mort
et que
tout ensuite était vivant (...) "
Se taire , page 17
Par la fenêtre,
j'ai vu les chevaux.
Ce fut à Berlin, en hiver. La lumière
était sans lumière, sans ciel le ciel.
L'air blanc comme un pain mouillé.
Et de ma fenêtre un cirque solitaire
Mordu par les dents de l'hiver.
Soudain conduits par un homme,
dix chevaux surgirent dans la brume.
Ils frémirent à peine en sortant, comme le feu,
Ce fut à Berlin, en hiver. La lumière
était sans lumière, sans ciel le ciel.
L'air blanc comme un pain mouillé.
Et de ma fenêtre un cirque solitaire
Mordu par les dents de l'hiver.
Soudain conduits par un homme,
dix chevaux surgirent dans la brume.
Ils frémirent à peine en sortant, comme le feu,
mais pour mes yeux
ils ont occupé le monde
vide jusqu'à cette
heure. Parfaits, enflammés,
ils étaient comme
dix dieux aux longues pattes pures,
aux crins
semblables au rêve du sel.
Leurs croupes étaient des mondes et des oranges.
Leur couleur était miel, ambre, incendie
Leurs cous étaient des tours
taillées dans la pierre de l'orgueil,
et à leurs yeux furieux, l'énergie
se penchait telle une prisonnière.
Et là, en silence, au milieu
du jour, de l'hiver sale et désordonné,
les chevaux impétueux étaient le sang,
le rythme, l'incitant trésor de la vie.
J'ai regardé, j'ai regardé, et alors j'ai revécu: sans le savoir
Là se trouvait la source, la danse d'or, le ciel,
le feu qui vivait dans la beauté.
J'ai oublié l'hiver de ce Berlin obscur.
Je n'oublierai jamais la lumière des chevaux.
Leurs croupes étaient des mondes et des oranges.
Leur couleur était miel, ambre, incendie
Leurs cous étaient des tours
taillées dans la pierre de l'orgueil,
et à leurs yeux furieux, l'énergie
se penchait telle une prisonnière.
Et là, en silence, au milieu
du jour, de l'hiver sale et désordonné,
les chevaux impétueux étaient le sang,
le rythme, l'incitant trésor de la vie.
J'ai regardé, j'ai regardé, et alors j'ai revécu: sans le savoir
Là se trouvait la source, la danse d'or, le ciel,
le feu qui vivait dans la beauté.
J'ai oublié l'hiver de ce Berlin obscur.
Je n'oublierai jamais la lumière des chevaux.
Chevaux page 51
Pablo Neruda,Vaguedivague, traduction de Guy Suarès, Poésie/
Gallimard, mai 2013
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