Naître avec le monde, Henri Maldiney, Shitao, Nathalie Sarraute
Article paru en 2013, réactualisé ce jour
Parfois au réveil dans la clarté indécise d'un pan d'espace,
où
disparaissent tous les signes de reconnaissance,
je ne perçois
ni des choses ni des images.
Je ne suis
pas le sujet d'impressions pures,
ni le
spectateur indifférent d'objets qui me font face.
Je suis
co-naissant avec le monde qui se lève en lui-même
et se fait
jour à mon propre jour, lequel ne se lève qu'avec lui
Henri Maldiney " l'avènement de
l'oeuvre"
source Cinq
méditations sur la beauté, François Cheng
C'est
en fonction de cette mesure du Ciel que l'âme du paysage peut varier;
c'est en fonction de cette mesure de la Terre que peut s'exprimer le souffle
organique du paysage. Je détiens l'Unique Trait de Pinceau,et c'est pourquoi
je puis embrasser la forme et l'esprit du paysage. Il y a cinquante ans, il n' y
avait pas encore eu co-naissance de mon Moi avec les Monts et les Fleuves,
non pas qu'ils eussent été valeur négligeable, mais je les laissais seulement
exister par eux-mêmes. Mais maintenant les monts et les fleuves me chargent
de parler pour eux; ils sont nés en moi et moi en eux. J'ai cherché sans trêve
des cimes extraordinaires, j'en ai fait des croquis; Monts et Fleuves se sont
rencontrés avec mon esprit, et leur empreinte s'y est métamorphosée, en
sorte que finalement ils se ramènent à moi.
c'est en fonction de cette mesure de la Terre que peut s'exprimer le souffle
organique du paysage. Je détiens l'Unique Trait de Pinceau,et c'est pourquoi
je puis embrasser la forme et l'esprit du paysage. Il y a cinquante ans, il n' y
avait pas encore eu co-naissance de mon Moi avec les Monts et les Fleuves,
non pas qu'ils eussent été valeur négligeable, mais je les laissais seulement
exister par eux-mêmes. Mais maintenant les monts et les fleuves me chargent
de parler pour eux; ils sont nés en moi et moi en eux. J'ai cherché sans trêve
des cimes extraordinaires, j'en ai fait des croquis; Monts et Fleuves se sont
rencontrés avec mon esprit, et leur empreinte s'y est métamorphosée, en
sorte que finalement ils se ramènent à moi.
Les propos
sur la peinture du Moine Citrouille-Amère
Traité du
peintre Shitao,
Pierre Ryckmans, Plon
Je regardais les espaliers en fleurs le long du petit
mur de briques roses, les arbres fleuris,
la pelouse d’un vert étincelant jonchée de pâquerettes, de
pétales blancs et roses, le ciel,
bien sûr, était bleu, et l’air semblait vibrer légèrement…
et à ce moment-là, c’est venu…
quelque chose d’unique… qui ne reviendra plus jamais de
cette façon, une sensation
d’une telle violence qu’encore maintenant, après tant de
temps écoulé, quand, amoindrie,
en partie effacée elle me revient, j’éprouve… mais quoi ?
Quel mot peut s’en saisir ?
Pas le mot à tout dire : « bonheur », qui se présente le
premier, non, pas lui…
« félicité », « exaltation », sont trop laids, qu’ils n’y
touchent pas… et « extase »…
comme devant ce mot ce qui est là se rétracte… « Joie »,
oui, peut-être…
ce petit mot modeste, tout simple, peut effleurer sans
grand danger… mais il n’est pas
capable de recueillir ce qui m’emplit, me déborde,
s’épand, va se perdre, se fondre dans
les briques roses, les espaliers en fleurs, la pelouse, les
pétales roses et blancs, l’air qui vibre
parcouru de tremblements à peine perceptibles, d’ondes… des
ondes de vie,
de vie tout court,quel autre mot ?… de vie à l’état pur, aucune menace sur elle,
aucun mélange, elle atteint tout à coup l’intensité la plus grande qu’elle puisse jamais atteindre…
jamais plus cette sorte d’intensité-là, pour rien, parce que c’est là,
parce que je suis dans cela, dans le petit mur rose, les fleurs des espaliers, des arbres,
la pelouse, l’air qui vibre…
de vie tout court,quel autre mot ?… de vie à l’état pur, aucune menace sur elle,
aucun mélange, elle atteint tout à coup l’intensité la plus grande qu’elle puisse jamais atteindre…
jamais plus cette sorte d’intensité-là, pour rien, parce que c’est là,
parce que je suis dans cela, dans le petit mur rose, les fleurs des espaliers, des arbres,
la pelouse, l’air qui vibre…
Je suis en eux sans rien de plus, rien qui ne soit à eux,
rien à moi.
Nathalie Sarraute, Enfance, Gallimard, 1983.
Brigitte Maillard
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