Chanson bretonne J.M.G Le Clézio lu par Pierre Tanguy
Monde en poésie a la joie d'accueillir ce nouveau livre de J.M G Le Clézio . Pierre Tanguy auteur, poète et critique nous le présente au travers de sa note de lecture.
La
« Chanson bretonne » de J.M.G Le Clézio
Un Prix
Nobel de littérature raconte son enfance bretonne. Des fragments de séjours de
vacances du côté de Sainte-Marine dans le Pays bigouden. J.M.G Le Clézio
jette un regard émerveillé sur cette période de sa vie. Et il n’hésite pas à
nous dire ce que lui inspire la Bretagne d’aujourd’hui.
« Je ne ferai pas de récit
chronologique,
écrit-il, les souvenirs sont ennuyeux, et
les enfants ne connaissent pas la chronologie. Les jours pour eux s’ajoutent
aux jours, non pas pour construire une histoire mais pour s’agrandir, occuper
l’espace, se multiplier, se fracturer, résonner ». Voici, donc, des
bribes d’enfance sous la plume de J.M.G.Le
Clézio (dont on connaît l’ascendance bretonne). Autant de tableaux
impressionnistes, que la mémoire ravive, sur des choses vues ou vécues dans ce « village d’été » de
Sainte-Marine où ses parents louaient une maison chaque année à Mme Hélias et
où le petit Parisien qu’il est apprend à côtoyer les jeunes du pays, « pour la plupart les fils et les
filles des pêcheurs qui peuplaient le village ». Une Bretagne du début
des années 50 tellement éloignée de celle que nous connaissons aujourd’hui et
amène l’auteur (Le Clézio est né en 1940) à dire que, depuis longtemps,
Saint-Marine n’est plus dans Sainte-Marine.
Il y a une forme de nostalgie, donc, dans
son récit parce que la mémoire amplifie et magnifie ces instants vécus entre
terre et mer, dans un pays de fougères, de pins et d’ajoncs. « Nous allions par les chemins creux,
avec nos vélos archaïques lourds comme des draisiennes, loués chaque année chez
le garagiste Conan de Combrit ». Des figures locales surgissent au fil
des pages. Ainsi Mme Le Dour « chez
qui nous allions chercher le lait » et où il y avait deux filles, « la plus jeune, Jeannette, maigre et
noire, Maryse, plus grande et plus forte, avec un joli visage régulier et de
beaux cheveux coiffés en chignon ». Ailleurs, il évoque la figure
d’une marquise (invisible), celle du château du Cosquer à Combrit (« château de contes de fées »)
où une fête était organisée chaque année. Enfin, il y a tous ces anonymes
côtoyés dans les petits ou grands moments de la vie. Le Clézio nous en donne
notamment une vision très naturaliste, marquée par son souci du détail pour parler
des hommes du cru dans les travaux de la
moisson ou du battage.
En toile de fond demeurent l’émerveillement
et les yeux écarquillés d’un enfant sur les estrans ou sur les rochers, sur « la solitude des criques encombrées de
galets géants, trouées de grottes où les vagues explosent ». L’auteur
a les mots pour dire l’émotion qui le saisit lors d’une virée nocturne
solitaire quand « la haute mer
brille à la clarté de la lune ».
Le
Clézio n’est pas là pour ressasser le passé mais pour entonner une « chanson bretonne » (une
forme de gwerz qui ne serait pas
triste) et pour tisser la trame d’un récit qu’il qualifie de « conte »
comme pour bien montrer que le merveilleux y a aussi toute sa place. Cela
n’empêche pas, pour autant, une perception aigüe des douleurs et des misères
qui peuvent accabler le pays, parfois issues de cette guerre dont les blockhaus
de la côte en sont la trace encore chaude. Mais pour un gamin, sous les cieux
changeants des étés bretons, il y a tant d’autres mystères à déchiffrer dans le
pays. Mystère des monuments anciens, mystère des paysages rabotés par le temps.
« Il y avait un autre monde avant le
mien (…) J’étais juste de passage ».
Quant à ce nouveau monde surgi de toutes les
révolutions de la deuxième moitié du 20e siècle, elles suscitent une
forme de réprobation de l’auteur. Qu’il s’agisse des constructions anarchiques,
de la défiguration des paysages, de la destruction du bocage. « Si je reviens au village de mon
enfance, ce village d’été où je suis allé chaque année, je ne reconnais
aujourd’hui à peu près rien ». Mais, s’empresse-t-il d’ajouter, « la nostalgie n’est pas un sentiment
honorable ». Le Clézio (qui
possède une maison en baie de Douarnenez) préfère souligner la « silencieuse constance » des Bretons, saluer ceux qui
entreprennent de cultiver la terre autrement et se réjouir qu’on s’applique à
entretenir la pratique de la langue bretonne (même si ce n’est plus celle qu’il
a connue enfant). Il rêve même d’une forme d’autonomie pour la Bretagne
(intitulant un de ses chapitres « Breizh atao ») en souhaitant que
le pays soit à même « d’inventer son
avenir écologique et culturel ».
Pierre TANGUY.
Chanson bretonne suivi de L’enfant et la guerre, J.M.G. Le Clézio, Gallimard, 155 pages,
16,50 euros.
La
deuxième partie de ce livre est une vibrante évocation des années de guerre
vécues par l’auteur, enfant, dans l’arrière-pays niçois où sa famille s’était
réfugiée.
Commentaires
Publier un commentaire